«On a provoqué la chance en choisissant nos opportunités.»

Rubrique "Relever un challenge"

Je pars rencontrer à Pleucadeuc un couple amoureux de la vie, rayonnant et passionné de voyages, de théâtre et de photographies. Marie et Patrick Rougier, émouvants inséparables et heureux de vivre leurs rêves.

Bonheurs Anonymes : Qui êtes-vous ?

Marie et Patrick : Nous nous sommes connus en 1975, on a vécu chacun chez soi pendant 25 ans. Nous nous sommes mariés en 2001, et nous vivons ensemble depuis 2003 ! 

Nous intervenons de façon ponctuelle dans des associations mais aimons avoir du temps à nous. Pour que la vie de tous les jours soit un plaisir, il faut prendre le temps et apprécier ce que l’on fait : manger, dormir, entretenir …

Marie : j’ai fait un AVC et une hémiplégie en 2004, j’ai été trois semaines entre la vie et la mort. J’ai fait de la rééducation à Kerpape avec la volonté de remarcher, pour ne pas être esclave de mon fauteuil roulant. Je voulais m’en sortir. Je voulais vivre, debout. 

J’ai ré-appris à parler, à écrire de la main gauche, à conduire.

«Le bonheur fait du bruit quand il s’en va.»

Patrick : Grâce à sa force de vie, elle progresse encore dans sa rééducation même trois ans après. 

Marie : On aimait déjà la vie avant, mais depuis on en profite encore plus. On voyage beaucoup : Chine, Indonésie, Inde, Norvège, Suède, Algérie, Soudan, Mali, toute l’Europe ! Afrique du sud, États-Unis, Mexique, Pérou, Bolivie, Canada…  

Quand vous aviez 16 ans, comment voyiez-vous votre vie d’adulte ?

Patrick : On ne se posait pas la question, on ne pensait pas à l’avenir. J’ai été bien le jour où j’ai quitté l’école, j’ai eu l’impression de vivre. Avant la vie était un carcan.

Marie : Je vivais au jour le jour.

Qu’aimez-vous dans la vie ? Qu’est ce qui vous rend heureux ?

Les voyages : l’attirance de l’être humain, le site, l’histoire, les coutumes, les religions, elles rassurent et rassemblent les peuples, c’est très riches de connaître les dieux, les prophètes, exceptés les fanatismes…. C’est un monde à part qui nous permet de comprendre ce qui se vit dans le pays dans lequel on arrive.

C’est impressionnant la façon dont les religions ont pu dessiner le monde. C’est même effrayant. Et même encore maintenant. On ne voit pas par exemple ce que les religions font comme dégâts dans le monde notamment en Afrique du Sud, en Amérique… Des églises ont été bâties sur des temples incas.

«Voyage, même seulement dans ton pays.»

Marie : Ma maladie nous rend plus accessibles auprès des peuples. Nous avons été dans des endroits où personne n’avait vu de fauteuil roulant. Ils sont ébahi et les enfants accourent, notamment grâce au Klaxon installé dessus qui interpelle. Les enfants sont autour de nous, heureux, les parents viennent, les barrières tombent. On arrive à se comprendre malgré la barrière de la langue. Nous faisons beaucoup de dessins. Le regard est aussi une langue à part entière.Le regard du sentiment, du contact, du bonheur… C’est énorme. Un tas de choses passent à travers le regard. On a pu rigoler rien qu’en se regardant. Il se passe quelque chose. On mime, on s’amuse. 

La vie de tous les jours nous rend heureux. Le matin on est heureux de se lever et le soir on est content de se coucher. Chaque journée est belle et vaut le coup d’être vécue. On y vit tout le temps quelque chose d’agréable.

Pour vous c’est quoi réussir ? Que faut-il faire pour réussir sa vie ?

Marie : Si je suis contente de ma journée, c’est que je l’ai réussie.

Quand on était responsable de centres, les ados étaient de toutes les couches sociales, ce qui était fou, c’est que la hiérarchie la plus haute vivait moins bien leur vie. Les parents étaient absents. 

Réussir sa vie c’est se sentir bien et apporter aux autres. 

Patrick : Donner et recevoir. On sent bien que certaines personnes n’ont pas la même façon de voir les choses, mais avoir la possibilité d’échanger. Pas de vouloir convaincre, sinon on domine et on manipule. C’est souvent malsain. Notamment en politique.

Notre couple nous a aidé à réussir notre vie. C’était constructif, une femme comme Marie c’est des fondations, c’est important. Et plus encore après son accident. Le bonheur fait du bruit quand il s’en va. J’ai eu très peur.

On était bien chacun de notre côté, mais on est très bien ensemble aussi.

Quel sentiment vous procure la préparation d’un nouveau voyage ?

Patrick : C’est du plaisir à l’état pur ! la préparation est très excitante. Marie ne veut pas connaître le périple mais le découvrir sur place. Avec un fauteuil on fait quand même le Machu Pichu !

Le fauteuil brinquebalait à chaque palier. Les gens qui surveillaient sont venus nous aider à soutenir le fauteuil à chaque fois que Marie se levait pour monter le palier. 

En Indonésie, nous n’étions plus des touristes, les porteurs de souffre nous aidaient à l’aide d’un brancard, puis des cordes, nous étions avec eux pour rejoindre le lac d’acide. 2,5h pour monter, 20mn pour redescendre et plus de freins ! Eux étaient contents et nous aussi. Nous ne sommes restés que quatre heures ensemble mais c’était intense.

Avant c’était un contact moins relationnel car les gens s’impliquaient beaucoup moins que maintenant.

Quand il y a une grosse difficulté, c’est Marie qui décide si elle le fait ou pas. Je sais que si elle accepte elle le fera jusqu’au bout. Au Sri Lanka nous avons gravi un temple de 5000 marches. C’était un exploit pour le guide qui était présent. Quelque chose se passait autour de Marie. Il l’a désigné comme une belle personne, avec un bon karma.

À Kerpape Marie témoigne encore de ses voyages avec ses films et encourage les handicapés à vivre leur rêve tout comme elle.

Avez-vous le sentiment de réussir votre vie à travers vos rêves réalisés ?

Marie : Après mon AVC quand j’ai recouvré mes esprits, je voulais mourir, puis j’ai eu une petite lumière : «si, tu peux». 

Patrick : Bien sûr, on a beaucoup de chance même si on a tout fait pour vivre comme on vit. On a provoqué la chance en choisissant nos opportunités, parce qu’on a refusé beaucoup de choses. Certaines personnes ne comprenaient pas. On aurait pu être autre chose  mais beaucoup moins heureux.

Par exemple dans notre évolution de carrière, notre choix de vie. J’ai vite compris que le but d’une entreprise n’était pas forcément le mien, ça n’allait pas avec mes sentiments, mes convictions. Je me sens plus libre et plus honnête avec moi même.

«On a provoqué la chance en choisissant nos opportunités.»

Quelle est la qualité que vous avez développée pour cultiver votre bonheur ?

– La certitude de douter de tout. 

– Être plus à l’écoute. C’est donner de l’importance à ceux qui sont autour de nous.Le regard des autres est très enrichissant, on apprend tellement de choses. On comprend tout. C’est une ouverture d’esprit. 

Côtoyer  un bourgeois et un SDF, pour avoir un juste milieu. Le point de vue de l’un n’est pas la réalité du monde.

– La rébellion car il ne faut pas suivre le troupeau. 

Y a-t-il des personnes qui vous inspirent ?

Marie : J’aurais aimé connaître Jean Moulin car il a vécu des choses extraordinaires , Marie Curie, Brassens, Gérard Philippe…

Patrick : Simone Veil, Marcel Paul, interné dans les camps et est devenu ministre, il a su mettre ses possibilités au service de la société. On a eu la chance de le rencontrer. Sa souffrance a été une force, une résistance.

Nous sommes allés dans des camps palestiniens en fauteuil, on a rencontré des Israéliens qui luttent pour la Palestine. C’est ça le bonheur : ça nous apporte tellement qu’on peut le transmettre.

On repart de chaque pays avec des sentiments très très fort. 

Y a-t-il une citation qui vous motive ?

Marie : «Va où tu veux et meurt où tu dois !» Ce qui pourrait être obstacle, on ne le voit pas donc rien ne nous empêche de vivre une nouvelle expérience.

On aime tellement les gens, je suis bien partout, même sans rien. Je vis autre chose, je vis avec peu de choses. On se concentre sur l’essentiel. On peut vivre autrement.

Y-a-t-il une habitude quotidienne qui vous personnalise ?

Patrick : Dire à ma femme que je l’aime, je ne peux pas m’en passer.

C’est au dessus de tout ce dont on a parler jusqu’à présent. 

Marie : Ce qui est beau c’est de pouvoir évoluer dans le même sens en gardant sa personnalité, on avance ensemble mais en restant soi.

Quelle est la plus belle chose que vous ayez pu faire/découvrir/partager…?

La plus belle chose que l’on a pu faire c’est de se marier. Après des unions déçues. On s’est choisi, on a choisi de se marier, ce n’est pas que l’amour c’est l’un et l’autre.

Nous sommes vraiment deux entités différentes qui vivons ensemble.