«Je rêve de lui et quand je dors il est à côté de moi.»
Rubrique "Donner de soi"
J’arrive dans le bourg de Merlevenez et suis la route de la mairie. Arrivée aux portes de la MARPA, une personne âgée, poussant son chariot, ramasse les feuilles mortes de la plante qui orne l’entrée.
«Voulez-vous de l’aide ? l’interroge-je – Non merci, me répond-elle, ça va m’occuper !»
Je trouve la chambre de Marguerite. Je rentre et son sourire m’accueille chaleureusement.

Bonheurs Anonymes : Qui êtes-vous ?
Marguerite : Je suis très sensible, mais je ne le montre pas. Un rien m’émeut, le contact avec les autres est important. J’aimais rendre service, quand je le pouvais encore, aux personnes qui étaient seules. Ça m’apportait un réconfort. On me le rend maintenant.
C’est du donnant donnant. Pour savoir recevoir il faut savoir donner.
Vous savez la guerre m’a forgée. J’ai pu acquérir une grande capacité de résilience avec toutes les épreuves très difficiles que j’ai traversées dans ma vie.
Quand vous aviez 16 ans, qui vouliez-vous être dans la vie ?
J’étais à l’école ménagère, je ne savais pas trop ce que j’allais faire de ma vie.
Qu’aimez-vous dans la vie ? Qu’est-ce qui vous rend heureuse ?
J’ai 96 ans, du temps de mon mari j’étais heureuse. On avait une estafette. On n’était pas riche, on avait tout perdu pendant la guerre, habillés par le secours catholique, on vivait dans une cabane. Elle servait pour le travail mais mon mari l’a aménagée. Un été, nous sommes partis avec les enfants à Lourdes. C’est le meilleur souvenir de ma vie. On a fait tout le sud comme ça. On tenait un commerce, c’était alors un moment de détente absolu.
C’était le rêve. Je sens encore les odeurs des melons à notre passage à Cavaillon, où nous avons eu des fruits à gogo. On mettait les cageots sous l’estafette, il n’y avait plus de place à l’intérieur. La vie de bohème.
«Je rêve de lui et quand je dors il est à côté de moi.»
Ici, maintenant, avec les autres personnes de la MARPA on s’entend bien. Je ne me sens plus seule. Ça me fait du bien.
Bien que j’aime bien être aussi seule, marcher, lire, être tranquille…
Que faut-il faire pour réussir sa vie ?
Nous on a commencé à zéro, on a pas toujours mis du beurre sur notre pain. Pendant la guerre nous étions tous réfugiés. Après la guerre, mon mari est resté un an auprès de sa mère veuve pour l’aider. Son frère nous a rejoint, à son retour de son service militaire. On dormait à 8 dans une cave. J’ai dit à mon mari «il faut faire quelque chose».
Je suis venue à Merlevenez, demander si on pouvait faire une cabane dans un terrain. Mon frère, cultivateur, nous a proposé du bois pour faire la cabane. Il a scié un chêne, prêté un cheval pour aller à la scierie couper les planches. On a fait un petit emprunt, acheté quelques machines et nous avons commencé à être forgeron. Mon mari a appris dans les livres à ferrer les chevaux.
Quand on a commencé à avoir un peu de sous, mon mari a commencé à nous construire une maison, le soir après sa journée de travail.
Nous sortions le dimanche à bicyclette. Il y avait une bonne entente entre nous.
Pour réussir sa vie il faut du courage, de la persévérance, de l’effort.
Où avez vous puisé tout votre courage ?
Il fallait bien tout reconstruire quand on avait plus rien. Il fallait bien vivre.
Y-a-t-il des personnes qui vous inspirent ?
Mon oncle et ma tante étaient des gens heureux, ils étaient inspirants, cette joie de vivre en eux ! J’ai appris la cuisine avec ma tante, et mon fameux gâteau breton…
Est-ce qu’il y a un conseil que vous aimeriez partager qui vous a aidé à être heureuse ?
Ne gâtez pas trop vos enfants d’un point de vue matériel.
Prenez la vie du bon côté.
Et ne pas travailler comme des forcenés car on n’est pas plus avancé ! «C’est une grande richesse d’avoir vécu un amour aussi profond.»
«C’est une grande richesse d’avoir vécu un amour aussi profond.»
Votre mari semblait être l’un des piliers de votre bonheur ?
On allait jamais nulle part l’un sans l’autre, on se donnait conseil tout le temps, on se demandait chacun avant de faire ou d’acheter des choses.
Nous avions une confiance énorme l’un envers l’autre. C’est une grande richesse d’avoir vécu un amour aussi profond.
Je rêve de lui et quand je dors il est à côté de moi.
On a vraiment été heureux. Et puis il était sérieux, il ne fumait pas, il ne s’alcoolisait pas… On parlait de tout, on discutait.
Avant la guerre, mon mari travaillait à l’arsenal. Il aurait mieux fait d’y rester au lieu de se mettre à son compte, on aurait eu une maison que ma tante m’aurait donnée.
J’étais la plus jeune, j’étais gâtée, par mes parents et mes frères et sœurs. Il y a eu beaucoup d’amour. Mon père a été tué par les allemands quand nous étions réfugiés. Les mamans prenaient la fuite avec leur brouette.
La vie m’a apporté la richesse de l’affection. De mes parents, mes frères et sœurs, mon mari, mes enfants, mes amis. Ça aide surtout dans les moments difficiles.
Pour vous l’affection, l’amour, c’est ce qu’il y a de plus important dans la vie ?
Oui !
C’est un oui catégorique ! Ferme et inébranlable.
La guerre nous a fait le plus de mal. Heureusement qu’il y avait tout le reste.