« Faites quelque chose qui vous ressemble. »

Rubrique "S'engager"

J’arrive à la boulangerie bio de Quily, les clients choisissent leur pain, l’odeur est délicieuse. Ils déposent leurs pièces dans une  corbeille en osier et repartent joyeusement. J’entends le feu crépiter sous le four. Daniel l’ouvre, tourne sa manivelle et peut retourner ainsi ses boules enfarinées. La dernière cliente compte encore à voix haute ce qu’elle doit et verse sa monnaie. Les cliquetis me sonnent aux oreilles et la porte se referme.

 

Bonheurs Anonymes : Qui êtes-vous ?

Daniel Testard : Un homme libre autant que possible, occupé à satisfaire mes désirs qui sont portés vers le service aux autres. Plus je suis proche plus je peux être utile. Je ne suis pas un modèle formaté comme on fait dans les écoles. Je créé mon propre modèle en fonction de ce que le ciel m’a donné comme valeurs et capacités à accomplir ma vocation. Je suis bien dans ce que je fais et ce que je propose à l’autre.

 

Quand vous aviez 16 ans, qui vouliez-vous être dans la vie ?

J’étais déjà boulanger. Depuis mes 3 ans, je courais chez le boulanger du village.  Je faisais du pain à la maison. à 13 ans je suis rentré en apprentissage mais ce n’était pas épanouissant.

J’ai subi cette vocation jusqu’à ce que je me révolte. Ça a formé ma résilience, la régénérance de ma vie. Mon patron me disait : «si tu fais toujours à ta ta tête, tu seras malheureux».

J’ai tenté le défi.

Ça m’a servi de ressort, de guide pour tout ce que j’ai entrepris.

J’ai mis en place à ce moment là une boulangerie au levain naturel que personne ne faisait. Ça fait 35 ans, le modèle ne change pas.

Je travaille seulement le mardi et le vendredi, ces deux jours tiennent ma semaine comme deux piliers.

La différence avec une boulangerie traditionnelle  [«le pain est bien meilleur» me souffle une cliente.] est que j’ai limité les coûts, j’ai fais le moins d’investissement possible. Et puis vendre le pain c’est autant de temps que de le faire, alors mes clients tiennent la caisse. Ils sont honorés qu’on leur face confiance, il y a tellement de suspicions.

Un revenu n’est pas fait de ce qu’on gagne mais de ce que l’on ne  dépense pas. J’ai rapproché le travail de mon domicile, j’ai construit ma maison, je cultive mon jardin. Je n’ai jamais manqué d’argent.

 

 

«Faites en sorte que tout ce que vous accomplissiez puisse vous ressembler.»

 

Dans la mesure où ce qui nous occupe dans la vie provient d’un réel désir, il n’y a pas de problème. Et ce désir de se mettre au service de l’autre, dans le meilleur de ce qu’on peut lui proposer (société, voisin, communauté..), c’est une locomotive, le dernier wagon sera la récompense financière. Il ne faut pas le mettre avant.

Je vis le temps libéré presque en autarcie : le bois, le jardin, les bâtiments, la musique, l’écriture,  l’astrologie humaniste, la marche..

Je ne suis un modèle que pour moi même mais mon intention est d’être une pierre pour construire le monde de demain ou au moins proposer une expérience qui puisse répondre aux nécessités futures.

 

Qu’aimez-vous dans la vie ? Qu’est ce qui vous rend heureux ?

Tout ce que je fais. Je suis un monastique et un convivial.

Je travaille à la bougie la nuit et dans la journée les gens viennent à la boulangerie, j’ai un besoin de contemplation mais aussi d’humanité. De solitude et de sociabilité.

 

Est-ce qu’il existe un échec en particulier qui vous a fait avancer ?

Il y aurait pu en avoir un.

Je suis arrivée ici dans un monde rural qui a du mal à accepter le changement, en l’occurence le bio et le levain naturel. Je ne concentre que 5% de la population de ma commune.

Ça a été un défi d’oser continuer.

Mais en même temps c’est une bénédiction car cela préserve ma liberté, mes 5 jours par semaine et mes deux mois l’été. Je ne suis donc pas prisonnier. Ce rejet est une chance.

 

Pour vous c’est quoi réussir ? Que faut il faire pour réussir sa vie ?

C’est uniquement sentir le bien être partout où nous sommes. J’essaie d’être bien dans ce qui fait mes occupations et mes relations. Il faut aller vers ceux qui résonnent avec nous, nous nous tirons vers le haut à condition d’être dans la même fréquence. Ce n’est pas la peine de fréquenter des gens qui sont dans la dissonance vis à vis de soi.

Il y a deux manières de vivre : choisir ou subir. Il faut se poser régulièrement la question. Si c’est subir il faut changer, se tourner vers soi et son réel désir, celui qui nous conduira vers les autres.

Réussir sa vie c’est reconnaître sa différence, l’arroser et la cultiver.

La société à une sainte horreur des gens libres et heureux. Elle va essayer de les remettre dans le troupeau. Cette culture de la différence est pourtant essentielle.

Je m’applique une discipline pour que tout continue à fonctionner. Je m’engage, je continue et je vais jusqu’au bout. Le contraire est la contrainte qui nous fait subir notre environnement.

La discipline est une fidélité à ses engagements.

Daniel Testard va régulièrement sortir ses pains du four, tournant sa manivelle, et laissant la bonne odeur du pain chaud se dégager.

 

Quel sentiment vous procure l’engagement que vous vivez  ?

De la satisfaction, de la tranquillité, de la bénédiction, beaucoup de reconnaissance. Je sens la vie qui coule avec beaucoup de fluidité. C’est serein mais c’est à entretenir tout le temps, du matin au soir.

J’ai mes rituels du matin qui me mettent en conscience de la journée qui vient et le soir en remerciements de cette journée accomplie.

Le matin je ne me lève qu’à la bougie pour garder mon attention vers le jour qui arrive.

Comme les angelus chez les anciens, la contemplation est un moment de la journée où l’on s’arrête enfin pour être conscient du moment présent et le remercier.

Le boulanger est pied nu sur le plancher bois enfariné, ses yeux  pétillent.

 

 

«Pour aller à l’essentiel, il faut prendre un temps d’arrêt.»

 

Avez-vous le sentiment de réussir votre vie en vous donnant l’autorisation d’être qui vous êtes vraiment ? Vous rapprochez vous de vous même ?

En éliminant tout ce qui ne me convient pas, il reste l’essence, l’essentiel, qui mérite mon attention.

Je retire mon attention des artifices et je garde ce qui me paraît plus important. Il faut constamment faire des choix, par le ressenti. La tête n’a pas à décider. Je suis plutôt dans la décroissance. Vers la simplicité volontaire. Ne se priver de rien mais ne retirer que l’essentiel.

Nous sommes encombrés de tant d’inutilité y compris dans la pensée.

Pour aller à l’essentiel il faut prendre un temps d’arrêt, la pose sacrée selon les boudhistes. On s’arrête et on écoute ce qui est dans le présent. On laisse pénétrer la verticale dans un quotidien horizontal. Pour faire le point. Pas besoin de prendre une position particulière, ça peut être en marchant, en travaillant, en s’endormant. Un mélange de méditation et de pleine conscience.

Combien de gens ont des désirs ! Mais ça ne va pas plus loin. Il faut de la discipline.

 

Quelle est la qualité que vous avez développé pour cultiver votre bonheur ?

La soif de liberté, m’échapper de toutes les contraintes inutiles, des tabous et croyances qui ligotent nos comportements. Qu’ils proviennent de la culture, de l’éducation, je me différencie et ne garde que ce qui me paraît être une certaine vérité.

Une liberté physique et mentale, psychologique…

 

Il y a-t-il des personnes qui vous inspirent ?

Des livres de Carlos Castaneda, pour le chamanisme, Pierre Rabhi pour l’écologie, Marion Bradley pour toute la mythologie celtiques, Paul Salomon pour la liberté morale, Dan Roudhyar fondateur de l’astrologie humaniste et Carl Jung en psychologie et profondeur

 

Il y a t il une citation qui vous motive ?

«La véritable pauvreté est l’impossibilité de pouvoir choisir sa vie» [Auteur inconnu NDLR]

 

Quel conseil donneriez vous à quelqu’un qui souhaite s’engager comme vous le faite ?

Faites en sorte que tout ce que vous accomplissiez puisse vous ressembler. Ne prenez rien comme modèle mais inventer votre scénario qui n’est que la projection de qui vous êtes.

Faire votre carte qui va vous différencier et vous identifier.

Les mots affranchissements et libération sont très important.

 

«Il faut aller vers ce qui résonne avec nous.»

 

Est ce que votre engagement est un modèle pour d’autres ?

J’ai créé une école de boulangerie, on a reçu 300-400 boulangers, et une école d’astrologie où je forme des astrologues.

 

Qu’en ont retenu vos enfants ?

Ils ont tendances à aller plus loin que moi, j’ai un fils luthier qui est charpentier en maison de paille, un autre maraîcher en agriculture biologique et une fille naturopathe.

J’entends le pain qui chante. Les clients ont défilé tout l’après- midi, tous heureux de discuter avec nous.

 

Un dernier message à transmettre ?

Faites quelque chose qui vous ressemble, soyez vous même.

Vous êtes la réponse à une question posée par l’univers.

Cherchez comment devenir ce que vous êtes déjà.

Les philosophes, religieux et penseurs ont tous dit ceci : il faut s’autoriser à être qui l’on est.